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Sociologie, Réflexion, Vers une ouverture d'esprit ...
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18 février 2005

Le Débat. - Si l'on informe le consommateur des

Le Débat. - Si l'on informe le consommateur des conséquences de sa consommation, acceptera-t-il de modifier son comportement ?

J.-M. J. - Avec juste de l'information, j'en doute. Si on l'informe par les prix, je suis sûr que oui. Le tabac offre une bonne illustration de cela : en se contentant de dire que ce n'est pas bon pour la santé, vous n'empêchez pas les adolescents de se mettre à fumer. Avec des prix dissuasifs, vous y parvenez. La bonne question est donc : sommes nous assez "murs" pour accepter une augmentation progressive du prix de l'énergie (pétrole, gaz et charbon), parce que nous estimons que le danger est suffisamment imminent ?

Le Débat. - Mais nous n'avons encore vu que deux parties du problème sur quatre....

J.-M. J. - En effet. Après l'industrie et l'agriculture, vous avez les transports. Ils sont extrêmement dépendants du pétrole : deux tiers du pétrole importé (la France ne produit que 1% du pétrole dont elle a besoin) est consommé par les transports. Le transport a maintenant un rôle structurant pour notre société qui va bien au-delà de la part qu'il représente dans nos dépenses. La part des transports dans l'activité économique, c'est quelques pour cent du PIB, mais cela masque leur importance réelle, qui est considérable. Si demain matin vous n'aviez plus de transports, Paris meurt de faim ! La tendance de nos sociétés est à tout organiser sur la base de transports abondants et pas chers. La production industrielle est concentrée sur quelques sites, puis nous transportons les produits dans tous les sens. Là encore, je pose la question : si des camions polluent pour amener du raisin d'Italie, est-ce de la faute du transporteur, ou est-ce la faute du consommateur qui achète du raisin qui vient de loin et qui se doute bien qu'il a fallu le transporter ? Je connais quelqu'un qui est persuadé de ne pas polluer l'environnement en achetant bio, mais ses produits bio arrivent parfois d'Argentine, du Chili, et de je ne sais où encore. Ils ne viennent pas tous seuls !

La fin de l'ère du pétrole abondant (dans quelques décennies tout au plus, si l'on en croit les déclarations des milieux pétroliers) va déstabiliser toute l'activité économique, qui est aujourd'hui étroitement tributaire d'un mode de transport à bas prix. Ce n'est pas en six mois ou un an qu'on réoriente tout l'urbanisme industriel. Plus généralement, les systèmes énergétiques ne se réorientent pas en une semaine. Par exemple, ce n'est pas le jour où nous considérerons que nous ne pouvons plus compter sur le pétrole que nous pourrons avoir le lendemain du nucléaire à la place : il faut trente ans pour mener un programme nucléaire du début à la fin.

Les transports non seulement constituent une part significative de la consommation d'énergie, mais leur part la plus inélastique. Cela s'est vu après le choc pétrolier ; dès 1974 la consommation de tous les secteurs est descendue très vite - le secteur industriel a diminué sa consommation de 40 % en l'espace de vingt ans et ne l'a plus augmentée depuis -, en revanche, la consommation des transports n'a jamais baissé. En d'autres termes, si vous multipliez demain le prix de l'essence par 4, les gens se saigneront à blanc, mais ils n'arrêteront pas de rouler, car ils ont besoin de leur voiture pour aller au travail, amener les enfants à l'école, faire les courses, etc., si rien n'est disponible à côté de chez eux, et la moitié de la France ne peut pas déménager le mois d'après. De même, les industriels continueront à avoir besoin de camions pour faire des livraisons si ils ont deux usines en France et des clients dans tout le pays. Cette absence d'élasticité veut dire aussi que nous sommes extrêmement dépendants du transport routier, et que le jour où nous serons confrontés à une pénurie physique, il en résultera une désorganisation majeure. Il serait souhaitable, à mon sens, de réorienter profondément les choses avant d'en arriver là.

Le Débat. - Mais cette diversité des sources de problèmes rend difficile d'identifier des responsables politiques capables d'agir

Comme l'équipement a la tutelle sur 70 % de la consommation d'énergie dans le pays, le vrai ministre de l'énergie, en France, se trouve au ministère de l'Équipement et pas au ministère de l'Industrie. En effet, le bâtiment (via le chauffage et les usages de l'électricité) absorbe 45 % de la consommation d'énergie en France, et les transports 25 %. J'ajoute que dans les transports, ce sont les déplacements de personnes qui consomment le plus - autrement dit, c'est vous et moi dans les voitures qui utilisons le plus de pétrole et perturbons le plus le climat, pas les camions sur les routes. Enfin l'essentiel de la mobilité des personnes ne concerne pas les déplacements domicile/travail (ils représentent 20 à 25 %) mais le reste - les courses, l'école, les loisirs, les vacances.

Le Débat. - Par qui doit-être faite la politique de l'énergie, dans ces conditions ?

J.-M. J. - Par tout le monde ! Elle doit être faite par les gens de l'équipement, par les gens des transports, par les gens de l'agriculture, par les gens qui s'occupent de consommation, par les gens qui ont la tutelle de la publicité, par les gens qui ont la tutelle du tourisme, par le ministre de l'intérieur (car une pénurie ou un grave désordre climatique aurait de très sérieuses répercussions sur la sécurité intérieure), par le ministre de la défense (car l'énergie est "ailleurs", et peut-être que la force militaire sera nécessaire pour garder quelques miettes du gâteau plus tard), etc. Comme l'énergie est omniprésente dans notre vie, dire que l'énergie relève d'un ministère en particulier n'a pas beaucoup de sens. Cette question relève du gouvernement tout entier, et du président de la république. C'est une préoccupation transversale qui doit remonter au plus haut échelon de l'État et se trouver dans le cahier des charges de n'importe quel ministre et n'importe quel élu.

Le Débat. - Compte tenu du tableau que vous dressez, est-ce que des mesures de détail ont le moindre intérêt ?

J.-M. J. - Je n'ai toujours pas la réponse à cette question. Prenez les ampoules basse consommation, souvent données en exemple comme "premier pas" qui servirait à en faire d'autres ensuite. Remplacer tout l'éclairage par des ampoules basse consommation en France ne permettrait l'économie que de 0,4 % de notre consommation d'énergie (primaire). Est-ce que cela vaut la peine de se fatiguer pour 0,4 % ? Je tends à dire non, mais certains disent oui, parce que cela fait avancer la sensibilité au problème. À mon avis, tant qu'on n'augmentera pas le prix de l'électricité, on retrouvera l'effet d'accroissement des usages dont nous avons déjà parlé. On ajoutera aux ampoules basse consommation un bel halogène dans le salon, parce que la facture restera la même.

Je suis partisan, personnellement, de ne pas communiquer de manière forte sur des choses qui ont des incidences marginales. Même chose par exemple pour l'énergie éolienne, dont l'espace qu'elle occupe sur le plan médiatique est totalement disproportionné avec son potentiel. Le vent fournit aujourd'hui 0,01 % de l'énergie produite dans le monde. En multipliant ce chiffre par 100, on arrive à 1 % ! Si le problème est de se passer de 75 % de l'énergie fossile, ces petites contributions sont minimissimes. Pour les Danois, l'apport de l'éolien, sur ces dix dernières années, est l'égal d'une année d'augmentation de leur consommation d'énergie.

Le Débat. - À vous écouter, on se persuade de l'impossibilité de ne pas aller droit dans le mur !

J.-M. J. - Je ne sais pas où commence le mur. Il y aura sans doute des murs successifs. C'est plutôt comme cela qu'il faut raisonner. Nous allons prendre des tas de plaies et de bosses avant d'y passer pour de bon. Notre espèce a eu un début, elle aura donc une fin, et donc il y aura des régulations. Le tout est de savoir quand et comment si nous n'agissons pas volontairement !

Nous sommes au stade où nous ne pouvons plus considérer que le monde est infini. C'était une approximation acceptable quand notre espèce comptait quatre millions de chasseurs-cueilleurs à la surface de la planète. C'était encore une approximation acceptable quand nous étions quarante millions d'agriculteurs au début du néolithique. À six milliards d'homo industrialis, cela cesse d'être vrai (même un Indien moderne consomme plus de ressources qu'un paysan du Moyen Age). C'est quelque chose qui est très difficile à admettre, parce que nous n'avons pas été câblés pour ça.

Le Débat. - l'idée du monde infini suppose des ressources énergétiques illimitées. Nous savons qu'elles ne le sont pas. Les perspectives en la matière, vous y faisiez allusion tout à l'heure, sont même assez nettes. N'est-ce pas le premier paramètre qui va bousculer la donne actuelle ?

J.-M. J. - Je me suis livré à quelques petits calculs amusants. Si on considère qu'on peut utiliser indifféremment du gaz, du charbon ou du pétrole pour nos usages (ce qui n'est pas si absurde que cela : les Sud-Africains, par exemple, font du pétrole de synthèse avec leur charbon depuis longtemps ; c'est juste plus cher) , et si nous prolongeons les 2 % d'augmentation de la consommation par an (ce qui est à peu près ce qu'on observe aujourd'hui), nous aurons épuisé l'ensemble des réserves connues (gaz, charbon et pétrole) en cinquante ans. Quand vous entendez aujourd'hui que nous avons quarante ans de pétrole, soixante ans de gaz, et deux siècles et demi de charbon, c'est en supposant que la consommation devienne tout d'un coup constante. Mais la consommation augmente sans cesse ! Avec la poursuite de la croissance actuelle, donc, tous les tiroirs inventoriés sont vides dans cinquante ans.

Si maintenant on prend ce qu'on appelle les réserves ultimes, c'est-à-dire la limite supérieure de tout ce qui pourra être extrait de terre du début à la fin de l'histoire pétrolière (ou gazière, ou charbonnière), nous obtenons à peu près cinq fois plus de réserves que ce qu'on connaît aujourd'hui (en ce qui concerne le pétrole, l'estimation de ces réserves ultimes n'a pas varié depuis 30 ans). Mais, par la magie des exponentielles, à 2 % d'augmentation par an, nous avons tout vidé en un siècle.

Qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'au rythme actuel d'augmentation de la consommation d'énergie fossile, nos affaires s'arrêtent bien avant 2100. Car bien entendu, vous ne videz jamais vos tiroirs brusquement. S'agissant de ressources finies, le processus suit une courbe en cloche : cela croît au début (nous y sommes encore), puis vous passez par un maximum et vous descendez. Le maximum, pour la production pétrolière, se situe entre dans cinq ans et dans trente ans - il y a une bataille qui fait rage à ce sujet entre géologues dans le milieu pétrolier. Certains cadres - voire très hauts cadres - de l'industrie pétrolière disent publiquement que le pic de la production pétrolière se situe vers 2030. Cela fait vingt ans que les découvertes annuelles de pétrole sont inférieures à la consommation annuelle, les découvertes annuelles ont culminé en 1960 et redescendent depuis, et il y a un assez large courant de pensée dans le milieu pétrolier qui considère qu'en 2050 l'abondance que nous connaissons aujourd'hui n'existera plus. Ce que tout le monde (ou presque) considère aujourd'hui comme une excellente nouvelle, à savoir les succès à l'exportation des vendeurs de voitures, de centrales à charbon et d'avions, fera probablement l'objet d'un tout autre jugement dans quelques dizaines d'années !

Enfin il faut savoir qu'en vidant ainsi tous les tiroirs d'énergie fossile que nous possédons en un siècle, nous rejetterions dans l'atmosphère une quantité de CO2 deux fois supérieure à ce qui figure dans le scénario le plus "intensif" utilisé par les scientifiques du climat, et qui amène déjà (le scénario "haut" des scientifiques) à un véritable changement d'ère climatique en un ou deux siècles seulement

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